samedi 5 mars 2011

Goliath fait encore parler de lui


Avec un caillou enfoncé dans la tête, et plus de tête du tout d'ailleurs, il fait encore parler de lui... et pas seulement à l'école du dimanche, non, mais dans le dernier numéro du très sérieux BASOR
Voici quelques explications...

   Le Bulletin of the American Schools of Oriental Research est l'une des principales revues spécialisées d'archéologie du Proche-Orient, émanant d'un réseau d'écoles américaines  (ASOR), implantées notamment à Jérusalem et à Amman. Dans le numéro 360 (Novembre 2010), un article est consacré à... la tenue vestimentaire de Goliath! Pour comprendre l'intérêt de ce sujet, un petit flashback s'impose...
   Dans 1 Samuel 17.5-7, on nous décrit ainsi l'équipement du fameux Philistin qui provoque l'armée d'Israël:
"Il avait sur la tête un casque de bronze et portait une cuirasse à écailles, en bronze, qui pesait 5000 sicles. Il avait aux jambes des jambières de bronze, et un javelot de bronze en bandoulière. Le bois de sa lance était comme l'ensouple des tisserands et la pointe de sa lance, en fer, pesait 600 sicles. Le porteur du grand bouclier marchait devant lui."

   Fashion, non? En tout cas, les chercheurs se sont intéressés à cet accoutrement comme des journalistes de mode à la tenue de la première dame de France. Avec deux tendances:
  1. Certains estiment que le récit, mis par écrit des siècles après l'époque de David, décrit le Philistin en s'inspirant de la tenue de mercenaires grecs de son époque, aux 7e-6e s. av. J.-C. Cette opinion a été vulgarisée par I. Finkelstein et N. A. Silbermann dans Les rois sacrés de la Bible. A la recherche de David et Salomon (trad. de l'anglais, Paris, Bayard, 2006), qui écrivent notamment: "La description biblique de l'armure de Goliath ne ressemble en rien à l'équipement militaire des premiers Philistins tel que nous le révèle l'archéologie (...) Ce n'est qu'à partir de l'apparition de l'hoplite, fantassin grec lourdement armé, entre le VIIe et le Ve siècle, que l'équipement d'un soldat ressemblera à celui de Goliath" (p. 186-187).
  2. D'autres chercheurs, en reprenant le dossier, ont au contraire conclu que la description biblique correspond bien à ce que l'on sait de la tenue des soldats Philistins.  On n'a pas de description datant du 11e s. (époque de référence de 1 Sam 17), mais rappelons que peu après 1200, des "Peuples de la Mer" ont envahi la côte du Levant, et que les Philistins constituaient l'une des composantes de cette vague migratoire. Or on a quelques informations sur leur tenue... C'est ce qu'ont souligné, par exemple, Alan Millard, prof émérite à Liverpool, et Lawrence Stager, prof à Harvard, qui a dirigé les fouilles dans la cité philistine d'Ashkelon. 
Philistins représentés sur une fresque de Ramsès III (source de l'image ici)

   L' article écrit par Jeffrey Zorn ("Reconsidering Goliath: An Iron Age I Philistine Chariot Warrior", BASOR 360, 2010, p. 1-22), dont vous trouverez un (trop) bref résumé en anglais en cliquant ici, adopte une perspective nouvelle. Zorn estime que la plupart des analyses de la tenue de Goliath partent du présupposé qu'il était un fantassin, parce que la confrontation avec David a lieu "à pied". Lui-même propose d'explorer une autre piste: et si Goliath avait été un guerrier sur char de la fin du second millénaire avant notre ère? 
   C'est, selon ce chercheur, ce que suggère la terminologie utilisée en 1 Sam 17. On dispose notamment de données iconographiques sur de tels soldats au second millénaire (typiquement, sur des fresques), qui permettent une comparaison. L'article, très détaillé, étudie chaque composante de l'armure et de l'équipement de Goliath, et conclut (je traduis): "chaque partie de la panoplie de Goliath - son armure à écailles, son casque, ses jambières - est [un élément de] cuirasse porté par des guerriers sur chars, soit du  Proche-Orient, soit de Grèce, et attesté jusqu'à la toute fin de l'âge du Bronze" (p. 8). 

   Il fait ensuite de même avec les armes du Philistin, et propose par ailleurs un rapprochement entre le fait qu'un porteur se charge du bouclier (1 Sam 17.7), et le fait que sur un char, il se trouvait souvent plusieurs soldats, l'un conduisant, l'autre utilisant des armes offensives (arc...), et un autre encore assurant la protection à l'aide d'un bouclier. Cela expliquerait l'expression hébraïque mystérieuse des v. 4 et 23, que l'on traduit par "champion" mais qui signifie littéralement: "un homme de l'entre-deux"... La Nouvelle Bible Segond indique en note que cette formule "désignait probablement un soldat qui proposait aux ennemis un combat singulier devant se dérouler sous les yeux des deux troupes adverses": c'est l'explication classique, mais c'est clairement une solution ad hoc. Zorn remarque que sur des reliefs égyptiens, notamment ceux de Ramsès III célébrant sa victoire sur les Peuples de la Mer (vers 1178), on voit bien des chars portant 3 soldats; l'"homme de l'entre-deux" pourrait dès lors être le soldat attaquant, flanqué du conducteur et du porteur de bouclier. 
   Bref, le job de Goliath aurait très bien pu être celui d'un combattant sur char, celui du "milieu", l'attaquant, et lors du duel avec David, on le retrouverait "à pied" mais avec son armure habituelle et accompagné de son collègue porteur de bouclier. Zorn estime ainsi que la description biblique est crédible en tant que souvenir authentique de la tenue d'un combattant philistin du 11e s. av. J.-C., et il écrit dans sa conclusion: "it makes a great deal of sense to view Goliath as a Canaanized Philistine chariot warrior equipped with just the sort of panoply that one might well expect in this region in this era" (p. 17). Analyse séduisante...