Eh oui, cela fait maintenant 400 ans que la traduction moderne de la Bible la plus connue, et la plus influente, est née!
Des amis (anglais!) m'ont offert un livre qui retrace l'histoire fort intéressante de cette traduction souvent considérée comme un joyau des lettres d'outre-Manche:
Gordon Campbell, The Story of the King James Version (1611-2011), Oxford, Oxford University Press, 2010.
Nonobstant mon chauvinisme naturel (quelque peu entamé depuis que j'ai rencontré et épousé une Anglaise...), je me suis régalé en lisant cet ouvrage sur la Bible du roi Jacques (ça sonne quand même mieux en anglais...).
Voici quelques aspects qui m'ont frappé...
1) Les erreurs d'imprimerie
Commençons par le plus anecdotique, mais aussi le plus amusant: les erreurs faites par les imprimeurs dans certaines éditions de la KJV, donc voici quelques exemples savoureux donnés par Cambell (p. 3 et 109-111):
- Oubli d'une négation dans l'un des 10 commandements: "You shall commit adultery"!
- A la place de "Let the children first be filled (=fed)", Jésus dit en Marc 7.27: "Let the children first be killed"...
- A la place de "Princes have persecuted me without cause" (Ps 119.161), on a pu lire: "Printers have persecuted me without cause"!
No comment.
2) Le procédé de traduction
La King James Version (KJV) n'est ni la première traduction anglaise de la Bible, ni un travail fait à partir de zéro. Il existait déjà plusieurs versions concurrentes, et la KJV fut pensée comme une révision de la Bishop's Bible (1568). Des dizaines de spécialistes furent mis à contribution, répartis en plusieurs équipes, et certains d'entre eux possédaient des compétences philologiques impressionnantes (maîtrise de l'hébreu, l'arabe, le syriaque, l'éthiopien...).
3) La qualité littéraire
De nombreux auteurs ont loué la KJV pour sa prose "cadencée", particulièrement appropriée pour des lectures publiques solennelles. Il faut dire que cette traduction fut réalisée avant tout pour la lecture en église, et que de toute manière la lecture à voix haute (ou en murmurant) était normale à l'époque. Le "rythme" des phrases, aux formules bien frappées, a marqué beaucoup d'esprits. Voilà qui fait réfléchir, car je ne pense pas que ce souci se reflète dans nos propres traductions françaises.
De nombreux auteurs ont loué la KJV pour sa prose "cadencée", particulièrement appropriée pour des lectures publiques solennelles. Il faut dire que cette traduction fut réalisée avant tout pour la lecture en église, et que de toute manière la lecture à voix haute (ou en murmurant) était normale à l'époque. Le "rythme" des phrases, aux formules bien frappées, a marqué beaucoup d'esprits. Voilà qui fait réfléchir, car je ne pense pas que ce souci se reflète dans nos propres traductions françaises.
D'un autre côté, certaines formes grammaticales utilisées dans l'édition de 1611 (et maintenues pendant longtemps dans les éditions suivantes) étaient déjà "archaïsantes" à l'époque - et probablement choisies pour accentuer le caractère solennel du texte.
4) La diffusion et la postérité
La KJV a été énormément diffusée à travers le monde anglophone, et continue d'être vendue et distribuée très largement (par exemple aux USA par les "Gédéons"). C'est aussi elle qui se trouve derrière, par exemple, les RSV et NRSV, qui en sont des révisions.
Le prestige associé à cette traduction dépasse de loin son utilisation concrète. Barack Obama a prêté serment sur la KJV de Lincoln; les présidents précédents utilisaient plutôt celle de G. Washington.
Et puis il y a les irréductibles de la KJV, ceux qui croient qu'elle est inspirée (en parlant des mots anglais, pas seulement des originaux!) et que c'est la seule version qu'il convient d'utiliser. Le web contient quantité de choses délirantes à ce sujet... On parle du "King James Only Movement". J'imagine que ce genre de chose est sociologiquement inévitable... La KJV de 1611 fut effectuée, pour le NT, à partir du texte grec édité par Erasme, lequel ne disposait évidemment pas de tous les manuscrits que nous connaissons aujourd'hui. Par exemple, Erasme ne pouvait connaître le Sinaiticus, découvert au 19e s. Ce manuscrit est consultable librement dans sa version digitalisée sur Internet (voir ici). Bref, on a fait des progrès énormes dans la comparaison des manuscrits pour reconstituer au mieux le texte grec original, mais certains s'obstinent à croire que le texte édité par Erasme, et sa traduction anglaise, doivent être par principe préférés. Donald Carson a écrit un livre sur ce pseudo-débat. Heureusement, le 20e s. a vu des efforts pour intégrer les progrès scientifiques à la KJV, d'où des révisions qui aboutissent notamment à la NRSV.
On trouve quantité d'autres informations dans le livre de Gordon Campbell, qui est un spécialiste de la Renaissance, notamment sur les aspects matériels des éditions de la KJV: illustrations, éditions spéciales, choix de traductions, polémiques autour des révisions... Un régal pour les bibliophiles.