Voilà le genre de questions que les exégètes aiment bien se poser, sans trop d'espoir de parvenir à une réponse assurée... Il est pourtant intéressant de s'interroger: est-ce Amos lui-même qui a réuni ses oracles, ou bien des disciples, ou quelqu'un d'autre encore, et comment?
Je viens d'écrire un long compte-rendu en ligne, dans le Journal of Hebrew Scriptures, d'un livre récent sur le sujet:
T. Hadjiev, The Composition and Redaction of the Book of Amos,BZAW 393, Berlin, de Gruyter, 2009.
Il s'agit d'une thèse de doctorat soutenue à Oxford, dédiée à la critique rédactionnelle du livre biblique.
L'auteur y propose un modèle d'élaboration du livre d'Amos à partir de deux "rouleaux":
- L'un contenant des textes "polémiques", essentiellement une partie des oracles contre les nations d'Am 1-2, et des visions des ch. 7-9. Il aurait été mis en forme par des disciples d'Amos peu avant 734/32 ou peu avant 722, en espérant défendre la validité des oracles de leur maître.
- L'autre réunissant, vers 734-722, des oracles incitant à la repentance (Am 4.1-6.7), plus tard étendu dans le royaume du sud à 3.9-6.14.
Les deux rouleaux auraient été réunis au 7e s. dans le royaume de Juda, puis on aurait effectué des ajouts durant l'Exil, notamment les oracles contre Tyr, Edom et Juda au ch. 1.
Je n'ai pas été convaincu par la démonstration de Hadjiev, et je vous renvoie à ma recension pour les détails. Mais ce livre a au moins deux mérites: l'auteur y analyse de manière critique nombre d'arguments peu solides qui ont été utilisés par des exégètes pour élaborer des modèles parfois plus complexes que le sien (jusqu'à 12 rédactions!), et il stimule la réflexion.
En fait, toute une série de questions sont impliquées; en particulier:
- Les oracles étaient-ils conservés par tradition orale dans un premier temps? On l'a souvent répété; je n'y crois pas trop. C'est évidemment invérifiable, et les principaux éléments en faveur de cette hypothèse sont: a) le fait que la transmission orale était importante dans certaines sociétés; b) l'impression que certaines caractéristiques des textes ont pu constituer des moyens mnémotechniques (structures symétriques...). Mais a) on n'en sait rien pour l'Israël ancien, et certains supposent trop facilement que les Israélites ne savaient pas écrire (on a pourtant des inscriptions de l'époque d'Amos). Et b) les textes prophétiques sont tellement bien travaillés d'un point de vue littéraire, qu'à moins de supposer une transformation considérable par des "éditeurs", il faut bien admettre que des prédicateurs comme Amos et Osée étaient de vrais écrivains et que leurs oracles étaient des oeuvres bien élaborées dès le départ, se prêtant mal à une transmission orale à mon avis. De plus, on a des traces, du côté de la Mésopotamie, d'oracles mis aussitôt par écrit, sous forme de "lettres" adressées au roi sur des tablettes (voir M. Nissinen et al., Prophets and Prophecy in the Ancient Near East, Atlanta, SBL, 2003, ou A. Lemaire (éd.), Prophètes et rois, Lectio Divina, Paris, Cerf, 2001).
- Que signifie l'"édition" ou la "publication" d'un livre dans l'Israël ancien? Finalement, on n'en sait pas grand chose. Il n'y avait sans doute pas de large diffusion au départ, et on peut imaginer que les "livres" comme celui d'Amos étaient conservés et recopiés par des prêtres ou des prophètes, avec un "lectorat" fort limité pendant longtemps. Il semble que Jérémie était imprégné du livre d'Osée, ce qui montre une influence de prophète à prophète.
- Où les oracles d'Amos sont-ils passés? Beaucoup pensent que lui-même a été expulsé vers Juda, car le prêtre Amasias lui enjoint de s'y enfuir (Am 7.12) - mais on ne sait pas s'il a obtempéré. En tous les cas, on peut supposer que ses oracles ont dû passer au royaume du sud au plus tard en 722, lors de la chute de Samarie.
- Les générations futures se permettaient-elles de "mettre à jour" les oracles en faisant de larges ajouts, comme Hadjiev et bien d'autres le supposent? On n'en a aucune preuve, si ce n'est que certains considèrent impossible, par exemple, qu'Amos ait évoqué Juda dans ses prophéties (ce qui est largement discutable). Certains, parmi les meilleurs commentateurs (Andersen et Freedman dans la collection Anchor Bible, S. Paul dans la série Hermeneia), considèrent que l'essentiel du livre d'Amos remonte au prophète éponyme, quitte à ce que ce soit ses disciples qui aient recueilli ses oracles en un "livre".
Faute d'éléments tangibles, on ne peut en rester qu'à des spéculations. Mais, plutôt que de considérer le livre d'Amos comme un simple "livre" manufacturé du jour au lendemain, il est bon de se rappeler qu'il y a une histoire derrière:
- un prophète qui rédige avec soin des oracles souvent ravageurs, traitant les femmes des notables de la capitale de "vaches" en Am 4.1 (il aurait été viré de bien des radios pour ses éditos...);
- un prophète qui se fait peut-être même expulser de son pays;
- des disciples ou continuateurs qui recueillent ou du moins conservent ses oracles;
- un recueil d'oracles qui fait son chemin dans l'histoire de Juda, jusqu'à faire partie du canon.